Vous voyez cette plume?
Eh bien, c'est une plume d'ange
Mais rassurez-vous, je ne vous demande pas de me croire
Je ne vous le demande plus
Pourtant, écoutez encore une fois, une dernière fois, mon histoire
Une nuit, je faisais un rêve désopilant quand je fus réveillé par un frisson de l'air
J'ouvre les yeux, que vois-je?
Dans l'obscurité de la chambre, des myriades d'étincelles
Elles s'en allaient rejoindre, par tourbillonnements magnétiques
Un point situé devant mon lit
Rapidement, de l'accumulation de ces flocons aimantés
Phosphorescents, un corps se constituait
Quand les derniers flocons eurent terminé leur course
Un ange était là, devant moi, un ange réglementaire avec les grands ailes de lait
Comme une flèche d'un carquois, de son épaule il tire une plume
Il me la tend et il me dit
C'est une plume d'ange
Je te la donne
Montre-la autour de toi
Qu'un seul humain te croie et ce monde malheureux s'ouvrira au monde de la joie
Qu'un seul humain te croie avec ta plume d'ange
Adieu et souviens-toi: La foi est plus belle que Dieu
Et l'ange disparut laissant la plume entre mes doigts
Dans le noir, je restai longtemps, illuminé, grelottant d'extase
Lissant la plume, la respirant
En ce temps-là, je vivais pour les seins somptueux d'une passion néfaste
J'allume, je la réveille
Mon amour, mon amour, regarde cette plume
C'est une plume d'ange!
Oui! Un ange était là
Il vient de me la donner
Oh ma chérie, tu me sais incapable de mensonge, de plaisanterie scabreuse
Mon amour, mon amour, il faut que tu me croies, et tu vas voir, le monde!
La belle, le visage obscurci de cheveux, d'araignées de sommeil, me répondit
Fous-moi la paix, je voudrais dormir
Et cesse de fumer ton satané Népal!
Elle me tourne le dos et merde!
Au petit matin, parmi les nègres des poubelles et les premiers pigeons
Je filai chez mon ami le plus sûr
Je montrai ma plume à l'Afrique, aux poubelles
Et bien sûr, aux pigeons qui me firent des roues
Des roucoulements de considération admirative
Je sonne
Voici mon ami André
Posément, avec précision, je vidais mon sac biblique, mon oreiller céleste
Tu m'entends bien, André
Qu'on me prenne au sérieux
Et l'humanité tout entière s'arrache de son orbite de malédiction guerroyante et funeste
A dégager! Finies la souffrance, la sottise
La joie, la lumière débarquent!
André se massait pensivement la tempe
Il me fit un sourire ému, m'entraîna dans la cuisine et devant un café
M'expliqua que moi, sensible, moi, enclin au mysticisme sauvage
Moi devais reconsidérer cette apparition
Le repos, l'air de la campagne
Avec les oiseaux précisément, les vrais!
Je me retrouve dans la rue grondante, tenaillant la plume dans ma poche
Que dire? Que faire?
Monsieur l'agent, regardez, c'est une plume d'ange
Il me croit!
Aussitôt les tonitruants troupeaux de bagnoles déjà hargneuses s'aplatissent
Des hommes radieux en sortent, auréolés de leurs volants et s'embrassent en sanglotant
Soyons sérieux!
Je marchais, je marchais, dévorant les visages
Celui-ci? La petite dame?
Et soudain l'idée m'envahit, évidente, éclatante, abandonnons les hommes!
Adressons-nous aux enfants! Eux seuls savent que la foi est plus belle que Dieu
Les enfants, oui, mais lequel?
Je marchais toujours, je marchais encore
Je ne regardais plus la gueule des passants hagards
Mais, en moi, des guirlandes de visages d'enfants
Mes chéris, mes féeriques, mes crédules me souriaient
Je marchais, je volais, le vent de mes pas feuilletait Paris
Pages de pierres, de bitume, de pavés maintenant
Ceux de la rue Saint-Vincent, les escaliers de Montmartre
Je monte, je descends et me fige devant une école, rue du Mont-Cenis
Quelques femmes attendaient la sortie des gosses
Faussement paternel, j'attends, moi aussi
Les voilà
Ils débouchent de la maternelle par fraîches bouffées, par bouillonnements bariolés
Mon regard papillonne de frimousses en minois, quêtant une révélation
Sur le seuil de l'école, une petite fille s'est arrêtée
Dans la vive lumière d'avril, elle cligne ses petits yeux de jais
Un peu bridés, un peu chinois et se les frotte vigoureusement
Puis elle prend son cartable orange, tout rebondi de mathématiques modernes
Alors j'ai suivi la boule brune et bouclée
Gravissant derrière elle les escaliers de la Butte
A quelque cent mètres elle pénétra dans un immeuble
Longtemps, je suis resté là, me caressant les dents avec le bec de ma plume
Le lendemain je revins à la sortie de l'école et le surlendemain et les jours qui suivirent
Elle s'appelait Fanny. Mais je ne me décidais pas à l'aborder
Et si je lui faisais peur avec ma bouche sèche
Ma sueur sacrée, ma pâleur mortelle, vitale?
Alors, qu'est-ce que je fais? Je me tue? Je l'avale, ma plume?
Je la plante dans le cul somptueux de ma passion néfaste?
Et puis un jeudi, je me suis dit: Je lui dis
Les poumons du printemps exhalaient leur première haleine de peste paradisiaque
J'ai précipité mon pas, j'ai tendu ma main vers la tête frisée
Au moment où j'allais l'atteindre, sur ma propre épaule, une pesante main s'est abattue
Je me retourne, ils étaient deux, ils empestaient le barreau: Suivez-nous
Le commissariat
Vous connaissez les commissariats?
Les flics qui tapent le carton dans de la gauloise, du sandwich
Une couche de tabac, une couche de passage à tabac
Le commissaire était bon enfant, il ne roulait pas les mécaniques, il roulait les r
Asseyez-vous
Il me semble déjà vous avoir vu quelque part, vous
Alors comme ça, on suit les petites filles?
Quitte à passer pour un détraqué, je vais vous expliquer
Monsieur, la véritable raison qui m'a fait m'approcher de cette enfant
Je sors ma plume et j'y vais de mon couplet nocturne et miraculeux
Fanny, j'en suis certain, m'aurait cru. Les assassins, les polices
Notre séculaire tennis de coups durs, tout ça, c'était fini, envolé!
Voyons l'objet, me dit le commissaire
D'entre mes doigts tremblants il saisit la plume sainte
Et la fait techniquement rouler devant un sourcil bonhomme
C'est de l'oie, ça
Me dit-il, je m'y connais, je suis du Périgord
Monsieur, ce n'est pas de l'oie, c'est de l'ange, vous dis-je!
Calmez-vous! Calmez-vous!
Mais vous avouerez tout de même
Qu'une telle affirmation exige d'être appuyée par un minimum d'en quête
À défaut de preuve
Vous allez patienter un instant
On va s'occuper de vous
Gentiment hein? Gentiment
On s'est occupé de moi, gentiment
Entre deux électrochocs
Je me balade dans le parc de la clinique psychiatrique où l'on m'héberge depuis un mois
Parmi les divers siphonnés qui s'ébattent ou s'abattent sur les aimables gazons
Il est un être qui me fascine
C'est un vieil homme, très beau
Il se tient toujours immobile dans une allée du parc devant un cèdre du Liban
Parfois, il étend lentement les bras et semble psalmodier un texte secret, sacré
J'ai fini par m'approcher de lui, par lui adresser la parole
Aujourd'hui, nous sommes amis
C'est un type surprenant, un savant, un poète
Vous dire qu'il sait tout, a tout appris, senti, perçu, percé, c'est peu dire
De sa barbe massive, un peu verte
Aux poils épais et tordus le verbe sort, calme et fruité
Abreuvant un récit où toutes les mystiques, les métaphysiques
Les philosophies s'unissent
Se rassemblent pour se ressembler dans le puits étoilé de sa mémoire
Dans ce puits de jouvence intellectuelle, sot
Je descends, seau débordant de l'eau fraîche et limpide de l'intelligence alliée à l'amour, je remonte
Parfois il me contemple en souriant
Des plis de sa robe de bure, ils sort des noix
De grosses noix qu'il brise d'un seul coup dans sa paume, crac! Pour me les offrir
Un jour où il me parle d'ornithologie comparée
Entre Olivier Messiaen et Charlie Parker, je ne l'écoute plus
Un grand silence se fait en moi
Mais cet homme dont l'ange t'a parlé
Cet homme introuvable qui peut croire à ta plume
Eh bien, oui, c'est lui, il est là, devant toi!
Sans hésiter, je sors la plume
Les yeux mordorés lancent une étincelle
Il examine la plume avec une acuité qui me fait frémir de la tête aux pieds
Quel magnifique spécimen de plume d'ange, vous avez là, mon ami
Alors vous me croyez? Vous le savez!
Bien sûr, je vous crois
Le tuyau légèrement cannelé, la nacrure des barbes, on ne peut s'y méprendre
Je puis même ajouter qu'il s'agit d'une penne d'Angélus Maliciosus
Mais alors! Puisqu'il est dit qu'un homme me croyant, le monde est sauvé
Je vous arrête, ami. Je ne suis pas un homme
Vous n'êtes pas un homme?
Nullement, je suis un noyer
Vous êtes noyé?
Non, je suis un noyer
L'arbre, je suis un arbre
Il y eut un frisson de l'air
Se détachant de la cime du grand cèdre
Un oiseau est venu se poser sur l'épaule du vieillard et je crus reconnaître
Miniaturisé, l'ange malicieux qui m'avait visité
Tous les trois, l'oiseau, le vieil homme et moi
Nous avons ri, nous avons ri longtemps, longtemps
Le fou rire, quoi!